La porte des enfers [Laurent Gaudé]
Pris par hasard dans ma bibliothèque, je ne m'attendais pas à cela. Une claque. Un de mes coups de coeurs 2010. Incontestablement.
Quatrième de couverture :
Au lendemain d’une fusillade à Naples, Matteo voit s’effondrer toute raison d’être. Son petit garçon est mort. Sa femme, Giuliana, disparaît. Lui-même s’enfonce dans la solitude et, nuit après nuit, à bord de son taxi vide, parcourt sans raison les rues de la ville.
Mais, un soir, il laisse monter en voiture une cliente étrange qui, pour paiement de sa course, lui offre à boire dans un minuscule café. Matteo y fera la connaissance du patron, Garibaldo, de l’impénitent curé don Mazerotti, et surtout du professeur Provolone, personnage haut en couleur, aussi érudit que sulfureux, qui tient d’étranges discours sur la réalité des Enfers. Et qui prétend qu’on peut y descendre…
Ceux qui meurent emmènent dans l’Au-Delà un peu de notre vie, et nous désespérons de la recouvrer, tant pour eux-mêmes que pour apaiser notre douleur. C’est dans la conscience de tous les deuils – les siens, les nôtres – que Laurent Gaudé oppose à la mort un des mythes les plus forts de l’histoire de l’humanité. Solaire et ténébreux, captivant et haletant, son nouveau roman nous emporte dans un “voyage” où le temps et le destin sont détournés par la volonté d’arracher un être au néant.
Mon avis :
Difficile de chroniquer sur ce livre tellement Laurent Gaudé nous montre ici l'étendue de son talent. Un livre noir, dérangeant, atypique, mythologique, épique. Les qualificatifs ne manquent pas.
La question n'est pas ici de savoir ici si le fils de Matteo, Pippo, reviendra d'entre les morts. On le sait en effet dès la première page du livre. En effet, l'action se passe simultanément en 2002 avec Pippo, l'enfant mort 22 ans plus tôt, et en 1980 où l'on suit la descente aux enfers de Matteo (au sens propre comme au figuré). Pippo va poursuivre en 2002 la vengeance inachevèe entreprise par son père en 1980. Mais ce livre est d'une telle richesse que cette facette se fond parmis tant d'autres.
Le style est sec et pur. Peu de dialogues. Et les sentiments sont restranscris d'une telle manière que j'avoue sans complexe avoir été crispé pendant toute ma lecture. Ce livre est dur. Aborder la mort de cette manière, sans concession aucune, sans naiveté quelconque, rend la lecture encore plus éprouvante. Mais si prenante.
La douleur de Matteo et de Giulana est retranscrite magnifiquement. Pas de place pour l'espoir ici. Tout est noir, opaque et macabre. Mais si réaliste. Le désir de vengeance qui anima ce couple - et qui finira par les séparer - est très puissant mais même si ce livre est à déconseillé aux cartésiens et autres rationalistes purs et durs, le tout reste très cohérent et l'on assiste avec peine à la détresse de Matteo, qui reste seul à honorer la mémoire de son fils.
Après une rencontre avec des personnages aussi atypiques qu'attachants, Matteo va entreprendre une descente aux enfers dans l'espoir de récupérer son fils. Le mythe d'Orphée allant chercher Eurydice est ici revisité d'une manière sombre et encore plus fataliste. Pas de place pour l'espoir ici, aucune éclaircie ne vient entraver la sombre quête de Matteo. Référence également à Dante et aux 9 cercles de l'enfer.
La mémoire prend ici une part très importante. 'Ce qui est vide ici est plein là-bas. Ce qui est intact ici est déchiré là-bas'. Nourrissons nos morts de notre mémoire. C'est du moins l'interprétation que je fais de ce passage, complètant une des règles du royaume des morts énoncée précédemment.
Ce livre ne rentre dans aucun genre prédéfini. Il fait la part belle au fantastique, mais le fantastique asseoit ici la spirale dans laquelle Laurent Gaudé nous emmnène. Spirale conduisant à la mort. Le fantastique frôle ainsi le mythologique, et ce d'une fort belle manière.
L'utilisation du cadre de la ville de Naples est également très pertinent (Dante était Italien, de Florence précisément) et renforce le côté sombre du livre. Une ville d'ombres où le respect des morts possède une importance toute particulière. Dans un coin d'Italie berçé par les traditions.
Un chef d'oeuvre. Ni plus ni moins.