Justine ou les malheurs de la vertu [Donatien Alphonse François De Sade]
Quatrième de couverture :
« Avec Justine, un homme du XVIIIe siècle parle, un prisonnier vitupère, un philosophe argumente, tous ensemble, dans une symphonie agressive que notre oreille douillette, accoutumée à de trop douces harmonies peut-être, reçoit comme un coup de poing. C'est précisément dans ce choc que la vérité de Sade doit se trouver, dans l'hématome, la boursouflure, le filet de sang qui suinte de la plaie. "Vous avez imaginé faire merveille (écrit-il à ses censeurs) en me réduisant à une abstinence atroce sur le péché de chair ; eh bien vous vous êtes trompés : vous avez échauffé ma tête, vous m'avez fait former des fantômes qu'il faudra que je réalise." Les menaces de Sade vont se concrétiser et les "fantômes", nés de son cerveau incendié par l'injustice, se mettre en marche, pour ne plus s'arrêter. Sade a 50 ans lorsqu'il écrit Justine ou les malheurs de la vertu, il ne sait pas encore qu'il est un écrivain. Il l'apprendra dans l'enfermement, ce qu'il appelle lui-même le "pressurage" de son isolement. »
Mon avis :
Premier ouvrage officiel du Marquis de Sade, publié en 1791. Réecrit plusieurs fois, Sade a sans cesse modifié son oeuvre, celle-ci devenant de plus en plus cruelle et sadique, eh oui.
Dieu qu'il est difficile de chroniquer un tel livre ! Le roman a provoqué un gigantesque scandale à sa sortie, et a d'ailleurs connu la censure. Vu son contenu, on peut presque le comprendre. Car oui, Justine ou les malheurs de la vertu est probablement l'un des romans les plus pornographiques et immoraux qui existent. Cependant, s'en tenir à cet aspect serait passer à côté de la richesse de l'oeuvre. Du chef d'oeuvre, même.
Justine est orpheline. A douze ans, elle est renvoyée de son couvent du fait de sa trop grande misère. Eprise de vertu , elle va sillonner le pays à la recherche d'une bonne âme pour l'aider. Justine va rencontrer de nombreuses personnes : comtes, moines, notables.. Malheureusement pour cette jeune vierge bourrée de valeurs religieuses, ses rencontres vont la marquer au fer rouge. Au sens figuré et littéral, d'ailleurs.
Chaque rencontre sera plus violente et sadique que la précédente. A titre d'illustration, citons par exemple l'abbaye maudite dans laquelle des moines séquestrent des filles jeunes (et moins jeunes) dans le seul but d'assouvir leurs désirs libertins. La pauvre Justine ne rencontrera que des libertins au cours de son tragique périple. Des êtres dénués de toute morale qui savourent sciemment leurs pulsions les plus noires. Viol, inceste, scatophilie, fantasmes sado-masochistes en tout genre, ce livre est très clairement à déconseiller aux âmes sensibles. Le terme sadisme, faisant référence aux écrits de Sade, est très loin d'être fortuit ici.
Comme je l'ai énoncé, ce livre n'est cependant pas qu'une succession de scènes dérangeantes.
Tout d'abord, la plume de Sade est purement exquise. Le style est très poètique et on savoure chaque passage, même les plus monstrueux. Point de vulgarité ici, même les scènes les plus atroces sont contées avec une poèsie presque délirante et totalement jouissive. La plume de Sade se boit, tout simplement.
Le livre est également émaillé de nombreux passages dans lesquels Sade expose sa vision du monde et de l'homme, à travers les interlocuteurs que rencontrent Justine. Profondément athé, Sade s'acharne à démontrer l'inutilité de la religion, sorte de bouée mystique à laquelle les gens faibles se raccrochent. Il s'en moque ouvertement, en témoigne les statuettes du Christ utilisées à des fins diverses par les moines libertins...
De manière très avant-gardiste, il pourfend très nettement la peine de mort, et la justice en général, corrompue jusqu'à l'os. Cela ne l'empêche pas de légitimer le meurtre, qui selon lui a vocation à rétablir en partie les inégalités existantes. C'est un point de vue, on va dire.
Moquant la vertu, il encense le vice, issu de la nature humaine même. Il va ainsi à l'encontre de la pensée dominante et de l'hypocrisie de la société qui compromet l'homme en tant qu'individu en l'enserrant dans un carcan de valeurs étrangères à sa nature. Individualiste au possible, Sade exprime sa pensée comme un torrent, brutalement, sans s'arrêter, sauf pour pour ouvrir une nouvelle scène dans laquelle Justine est, encore une fois, mise au supplice..
'La prière est la plus douce consolation du malheureux, il devient plus fort quand il a rempli ce devoir'